750 grammes
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22 juin 2014 7 22 /06 /juin /2014 11:29

Le jour que nous reçûmes la visite de l'économiste,
nous faisions justement nos confitures de cassis,
de groseille et de framboise.

L'économiste, aussitôt, commença de m'expliquer avec
toutes sortes de mots, de chiffres et de formules, que
nous avions le plus grand tort de faire nos
confitures nous-mêmes, que c'était une coutume du moyen
âge, que, vu le prix du sucre, du feu, des pots et
surtout de notre temps, nous avions tout avantage à
manger les bonnes conserves qui nous viennent des
usines, que la question semblait tranchée, que,
bientôt, personne au monde ne commettrait plus
jamais pareille faute économique.

- Attendez, monsieur! m'écriai-je. Le marchand
me vendra-t-il ce que je tiens pour le meilleur et
le principal ?

- Quoi donc? Fit l'économiste.

- Mais l'odeur, monsieur, l'odeur! Respirez : la
maison toute entière est embaumée. Comme le monde
serait triste sans l'odeur des confitures!

L'économiste, à ces mots, ouvrit des yeux d'herbivore.
Je commençais de m'enflammer.

- Ici, monsieur, lui dis-je, nous faisons nos
confitures uniquement pour le parfum. Le reste n'a
pas d'importance. Quand les confitures sont faites, eh
bien! Monsieur, nous les jetons.

J'ai dit cela dans un grand mouvement lyrique et
pour éblouir le savant. Ce n'est pas tout à fait vrai.
Nous mangeons nos confitures, en souvenir de leur parfum.


Georges Duhamel

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